Une nouvelle de Waldeck Moreau

Une nouvelle de Waldeck Moreau

Une meilleure année 2021

Jean s’était levé ce matin du premier janvier 2021 d’un mauvais pied. Comme tous les matins de sa vie du reste. Rien d’exceptionnel. Cependant, l’année 2020 avait été corsée. Et pourtant, elle promettait. Il avait rencontré Clémentine lors du réveillon du 31 décembre. Un nouveau départ et pour une fois, il voulait bien y croire. Tout le monde autour de lui s’était gratifié de bises et de « Bonne année » avec en point d’orgue, un mini feu d’artifice — assez minable il faut bien le dire — qui avait eu le mérite d’exister et d’emmerder les voisins qui dormaient déjà. Ils étaient rentrés vers six heures et avaient passé la journée l’un contre l’autre. Puis celle d’après et encore la suivante et ainsi de suite. C’était le grand amour. Une vie de rêve et pour couronner le tout, Jean avait décroché un CDI. L’année partait bien. Mais le matin du 18 janvier, Clémentine se réveilla à une heure inhabituelle. Jean entendit du bruit et regarda sa montre. 5 heures. Il se leva, trébucha sur son pantalon en boule aux pieds de son lit et termina sa course dans le chambranle de la porte. Clémentine se retourna. « Mais… tu fais quoi ? » demanda Jean. « Je pars, t’es trop chiant » et elle claqua la porte. 

Suite…

La bonne année avait duré 18 jours. Ce qui n’était pas si mal finalement. D’habitude, elle ne commençait même pas. Cependant, Jean était tout de même chagriné. Et du chagrin à la dépression, il n’y avait qu’un pas que celui-ci franchit allègrement. Arrivant en retard, réduisant les cadences et incapable de s’expliquer il perdit son travail. Il traîna dans les bars et fit quelques rencontres. Notamment Louise qui tenait son nom de l’anarchiste communarde vénérée par ses parents. Louise continuait la tradition familiale et entraîna Jean dans la tourmente des Gilets jaunes. Vite convaincu par les arguments de sa dulcinée sur un mouvement sans dieu ni maître qui allait fracasser les piliers d’un ordre néolibéral et destructeur qui jetait en pâture 90 % des hommes pendant que les 10 % autres s’enivraient sur leurs richesses toujours plus abondantes.

Jean ne comprenait pas tout, mais Louise avait d’autres atouts très convaincants. Alors il la suivait. Le vendredi, ils fabriquaient des pancartes en carton avec des slogans contre le système et son président Macron. Et le samedi ils allaient traîner leurs guêtres sur les boulevards des grandes villes pour protester. Comme il fallait s’y attendre — vu que Jean n’avait jamais eu de chance dans sa vie — il se prit une balle de LBD et perdit un œil. Et comme il fallait également s’y attendre — vu que Jean n’était pas non plus téméraire — il arrêta sa carrière d’anarchiste. Louise qui ne comprenait pas son désengagement et qui le trouvait subitement moins séduisant continua son combat en solo. Jean retourna donc dans son bar préféré et rencontra un brave gars à qui il raconta sa vie pitoyable. Le type, qui s’appelait René et qui était très chic fut ému par son histoire et lui déclara « Tu es encore jeune, le monde t’appartient ! » Et ils trinquèrent à cette nouvelle ère qui s’annonçait. Même si Jean était sceptique sur les propos de son ami. Le lendemain, René retrouva Jean au bar et lui apprit la bonne nouvelle. Il lui avait trouvé un travail. Ils allèrent voir le patron du café qui avait comme enseigne — par manque d’idée lumineuse probablement — “Au bon café”. Où l’on servait surtout de la bière. Le 15 mars, il signait son contrat. Jean ayant une sale tête avec son bandeau sur l’œil fut envoyé en cuisine. Une vraie chance et un salaire qui lui ouvrit de nouveaux horizons… jusqu’au 16 mars. Le président Macron annonçait à la télévision « Nous sommes en guerre ». Et le lendemain, “Au bon café” fermait et Jean se retrouvait à la rue. Il reprit du service quelques semaines pour se retrouver de nouveau sans emploi le 13 octobre. 

Reclus dans son appartement, Jean regardait par la fenêtre. Le froid s’était installé, les rues étaient désertes. On parlait à la télé ou sur les réseaux sociaux des fêtes de fin d’année, du réveillon, du Nouvel An, des restrictions. Pour la première fois de sa vie, Jean serait seul pour entamer une nouvelle année. On ne peut pas dire qu’il avait de nombreuses relations, mais, bon an mal an, il avait toujours réussi à se faufiler dans un groupe pour le réveillon du 31, même à la traîne. Quelques minutes avant le coup de minuit, il fut réveillé par des bruits de pétards et une musique entraînante. Il s’était endormi depuis quelques heures devant son poste de télévision. Tordu sur le canapé il se leva, ressentit une douleur dans le dos, attrapa un verre et le remplis d’un reste de blanc. Il se rapprocha de la fenêtre. En face, une fête battait son plein. Il s’amusa à compter les convives qui se déhanchaient ou fumaient sur le balcon. Plus de six. Il tendit son verre vers eux et se retint d’un « Bonne année » alors que de l’autre côté, les bouchons de champagne pétaradaient. On levait les coupes et on s’embrassait pour célébrer l’entrée en 2021. Il se dit en lui-même que tout ça n’était pas Covid mais ouvrit la fenêtre pour profiter de cette joie éphémère au milieu du marasme ambiant et posa son récipient sur la rambarde… qui bascula et s’écrasa quelques mètres plus bas sur le pavé.

Il haussa les épaules en se disant que l’année qui s’annonçait ne pouvait pas être pire que la précédente. Il allait refermer le battant, mais entendit « Eh oh, ça va pas la tête ? » Il se pencha et vit une fille sur le trottoir tirant son vélo, visiblement crevé, avec à ses pieds, des débris de verre. Jean descendit en vitesse. Lorsqu’il entrebâilla la porte, il reconnut la jeune fille. Reconnu était un bien grand mot. Il l’avait déjà aperçu quelque part, mais où ? En fait, c’était sa voisine de palier — Jean n’avait jamais eu le sens de l’observation — qui revenait d’une fête dont elle se serait bien passée. Par culpabilité de lui avoir envoyé un verre du troisième étage, il l’aida à monter son vélo dans son appartement. Tâche qu’elle s’astreignait depuis qu’on lui avait volé sa troisième bicyclette dans la rue. La fille rentra chez elle, Jean dans son appartement. « Elle est bien jolie ma voisine », se dit-il.

Il tourna en rond pendant quelques minutes et se dit qu’il aurait pu s’excuser. Il l’avait aidé à monter son vélo, mais rien exprimé pour sa maladresse qui aurait pu la blesser. Il alla chercher deux verres dans la cuisine — qui se trouvait dans la salle à manger ou le contraire — attrapa ce qui restait dans la bouteille de blanc et ouvrit la porte. Porte, qui de l’autre côté du palier s’ouvrait en même temps. La fille — qui s’appelait Céline parce qu’elle était la dernière de la fratrie et parce que ses parents adoraient Hugues Aufray — lui sourit et, se retrouvant avec quatre verres et deux bouteilles, ils décidèrent de boire un coup. Céline lui conta sa vie, qui n’avait rien à envier à celle de Jean et Jean la sienne qui n’avait rien à envier à celle de Céline.

Au bout de quelques heures — et en raison du froid qui régnait sur le pallier — ils se rapprochèrent l’un de l’autre et, afin de conjurer le sort, ils s’embrassèrent sans toutefois — d’un accord tacite au vu de leurs expériences passées — se souhaiter une bonne année. Céline qui était malicieuse, remplit de nouveau les verres et prononça « si on ne peut pas se souhaiter la bonne année, que dire ? » Puis, elle éleva la voix pour clamer « Meilleure année 2021 alors ! » Jean éclata de rire et ajouta : « Pour nous deux… et pour tous ! ». C’était bien la première fois que Jean avait un élan de générosité pour le monde entier, monde qui ne lui en avait jamais déversé ne serait-ce qu’une pincée. Elan de générosité qui déplut au locataire du dessus qui — probablement par manque d’inspiration — déclama « Ça commence à bien faire tout ce boucan, je vais appeler la police »

Ils se regardèrent et éclatèrent de rire avant de courir se réfugier chez Céline. Ils finirent la nuit l’un contre l’autre, sous une couette bien chaude, chacun pensant à l’année à venir qu’ils trouvaient belle et bonne sans toutefois vouloir en dire un mot. Sait-on jamais !

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