La peste de Camus
La peste – Camus – Note de lecture de Danielle Coin
Le livre a été publié en 1947. Il se présente comme une chronique sur des événements qui se sont produits en 194… à Oran. Le narrateur, « qu’on connaîtra toujours à temps « (p. 15) nous le découvrons à la toute fin du livre (p. 347) n’est autre que le personnage principal, le Dr Rieux.
Historiquement il n’y pas eu d’épidémie de peste à Oran en 194. ;
J’ai commencé la lecture du livre au début de la pandémie, je l’ai acheté le 17 mars, 1er jour du confinement. J’ai tout de suite été frappée par les similitudes entre ce que nous vivions et ce que décrit Camus.
Il est utile d’avoir quelques éléments de la biographie de Camus qui sont très éclairantes sur le roman.
J’ai utilisé l’introduction à une nouvelle traduction anglaise du livre écrite en novembre 2001 par Tony Judt, un historien, spécialiste de l’histoire de France, et écrivain anglais. Comme on le voit il a rédigé son introduction quelques semaines après le 11 septembre 2001, lui aussi s’est senti plongé dans l’atmosphère morbide et délétère que décrit Camus et que nous visons actuellement. Son introduction est une excellente analyse du livre, une esquisse du portrait de Camus et une réflexion sur la part de lui qui se trouve dans le livre. Et il y a beaucoup de lui. Enfin il évoque longuement l’allégorie de la guerre.
Éléments biographiques qui éclairent le livre :
Camus avait eu la tuberculose. Lorsqu’il est arrivé à Oran en 1941 à l’âge de 33 ans, il a fait une rechute qui l’a « confiné » dans cette ville qu’il qualifie de laide dans le roman (p.11). Il y était privé de bains de mer, du sable, d’exercice physique, tout ce qu’il aimait.
Il est envoyé en France pour sa convalescence, au Chambon sur Lignon, en août 1942. Malheureusement quelques semaines plus tard les alliés débarquent en Afrique du Nord et les allemands occupent le sud de la France, l’Algérie est coupée du continent. Camus a été séparé de son pays, de sa mère et de sa femme qu’il ne reverra qu’après la défaite des allemands.
Ce qui explique sa phrase « un malade se trouve bien seul à Oran ».
Les personnages du livre :
le Dr Rieux, principal personnage et on peut dire héros, il va soigner tous les malades et il survira, comme déjà précisé c’est lui le narrateur, il ne reste d’ailleurs guère que lui
le Dr Castel, médecin plus âgé et le premier à identifier la maladie
Tarrou, dont personne ne pouvait dire d’où il venait ni pourquoi il était là ; il tient une chronique dans ses carnets qui sera utilisée par « le narrateur » (p.34)
Rambert, journaliste qui s’est trouvé « piégé » à Oran et qui met tout en œuvre pour quitter la ville pour rejoindre son amie avant la quarantaine et même après. Il tente par tous les moyens de s’échapper en essayant de soudoyer les gardiens des portes. Juste avant son départ il réalise qu’il fait partie de la communauté et partage son sort ; ignorant le risque il reste à Oran et rejoint l’équipe des soignants
Cottard, qui voit dans la peste une aubaine pour échapper à la prison pour divers trafics et qui redoute le retour à la situation d’avant (c’est un personnage qui appartient au côté allégorique)
Grand : employé de mairie, sans envergure mais qui va prendre part à l’organisation des soins
Enfin le Père Paneloux, curé de la ville, « un jésuite érudit et militant » est-il précisé, pour qui la peste est un châtiment divin
Chronologie des faits
C’est sans doute dans cette chronologie que la similitude avec l’apparition de la pandémie actuelle est la plus saisissante.
p. 50 : l’apparition de la peste
L’incrédulité : « comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, des déplacements et les discussions ? »
L’évocation de la construction en Provence du grand mur qui devait arrêter le vent furieux de la peste (fait historique de la grande peste de Marseille en 1720)
p. 62 le Dr Castel sait que reconnaître officiellement qu’il s’agit de la peste obligerait à prendre des mesures impitoyables
p. 62 : la pénurie de médicaments : « savez-vous que le département n’a pas des sérum »
le Dr Rieux : je sais j’ai téléphoné au dépôt. Le directeur est tombé des nues. Il faut faire venir ça de Paris » (cf : la pénurie de masques et de vêtements de protection que nous connaissons)
pp. 74/75 : les rumeurs, ce que nous nommons les « fake news » : alors Dr c’est le choléra ?
Où avez-vous pris ça ?
Dans le journal, et la radio l’a dit aussi.
Non, ce n’est pas le choléra.
En tout cas dit le vieux très surexcité, ils y vont fort, hein, les grosses têtes ?
N’en croyez rien, dit le docteur.
… « Mais pour la plupart, ce serait l’hôpital et il savait ce que l’hôpital voulait dire pour les pauvres. « Je ne veux pas qu’il serve à leurs expériences », lui avait dit la femme d’un des malades. Il ne servirait pas leurs expériences, il mourrait et c’était tout. »
« quant aux « salles spécialement équipées » il les connaissait : deux pavillons hâtivement déménagés de leurs autres malades, leurs fenêtres calfeutrées, entouré d’un cordon sanitaire. Si l’épidémie ne s’arrêtait pas d’elle-même, elle ne serait pas vaincue par les mesures que l’administration avait imaginées »
p. 76 : les enterrements : « Les enterrements ne sont pas surveillés ?
Non, J’ai téléphoné à Richard qu’il fallait des mesures complètes, non des phrases, et qu’il fallait élever contre l’épidémie une vraie barrière ou rien du tout. »
p. 201 : en l’absence des familles
« Eh bien, ce qui caractérisait au début nos cérémonies c’était la rapidité ! Toutes les formalités avaient été simplifiées et d’une manière générale la pompe funéraire avait été supprimée. Les malades mouraient loin de leur famille et on avait interdit les veillées rituelles, si bien que celui qui était mort dans la soirée passait sa nuit tout seul et celui qui mourait dans la journée était enterré sans délai. On avisait la famille, bien entendu, mais, dans la plupart des cas, celle-ci ne pouvait pas se déplacer, étant en quarantaine si elle avait vécu auprès du malade. Dans le cas où la famille n’habitait pas avec le défunt, elle se présentait à l’heure indiquée qui était celle du départ pour le cimetière, le corps ayant été lavé et mis en bière ».
p. 79 : l’épidémie semble reculer, puis tout à coup elle remonte en flèche … Le préfet écrit « Déclarez l’état d’urgence, fermez la ville »
C’est là la différence essentielle avec la pandémie actuelle : dans le cas de La peste c’est la ville d’Oran qui est confinée et complètement fermée mais les citoyens peuvent y circuler librement alors que la pandémie est mondiale et ce sont les personnes qui sont confinées.
p. 83 : la séparation
…une fois les portes fermées, ils s’aperçurent qu’ils étaient tous, et le narrateur lui-même, pris dans le même sac et qu’il fallait s’en arranger. C’est ainsi, par exemple, qu’un sentiment aussi individuel que celui de la séparation, d’avec un être aimé devint soudain, dès les premières semaines, celui de tout un peuple, et, avec la peur, la souffrance principale de ce long temps d’exil.
p. 134 : interdiction de sortir de la ville et peines de prison pour les contrevenants
« les journaux publièrent des décrets qui renouvelaient l’interdiction de sortir et menaçaient de peines de prison pour les contrevenants »
p. 138 : ruine du tourisme
« Il était sûr d’ailleurs que les voyageurs se détourneraient longtemps encore de la ville. Cette peste était la ruine du tourisme »
p. 142 : la crise du papier et la réduction du nombre de pages des périodiques
« Malgré la crise du papier qui devient de plus en plus aiguë et qui a forcé certains périodiques à diminuer le nombre de leurs pages, il s’était créé un autre journal : « Le courrier de l’épidémie »
p. 149 : l’appel aux volontaires
« Pourquoi ne pas demander des volontaires ? …j’ai un plan d’organisation pour des formations sanitaires volontaires. »
Philosophie
A partir de la page 149 jusqu’à la fin du livre qui en compte 355 Camus développe sa philosophie :
- son engagement contre la peine de mort : il donne pour ce faire la parole à Tarrou qui déclare « j’ai horreur des condamnations à mort » plus tard il explique à Rieux qu’il a été forcé par son père, juge, d’assister à une condamnation à mort et qu’il en a conçu un refus total de la peine de mort.
- La question de la foi occupe de longs développements :
« Après tout…reprit le docteur, et il hésita encore, regardant Tarrou avec attention, c’est une chose qu’un homme comme vous peut comprendre, n’est-ce pas, mais puisque l’ordre du monde est réglé par la mort, peut-être vaut – il mieux pour Dieu qu’on ne croit pas en lui et qu’on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers le ciel où il se tait. »
Il s’oppose au Père Paneloux pour qui le fléau est un châtiment divin : « Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères vous l’avez mérité ». Et lorsqu’il sera frappé par la maladie il refusera les secours de la médecine qui s’oppose à la volonté de Dieu .
La profession de foi de Camus est très claire « Je me sens plus de solidarité avec les vaincus qu’avec les saints. Je n’ai pas de goût, je crois, pour l’héroïsme et la sainteté. Ce qui m’intéresse c’est d’être un homme »
Et là nous touchons à l’autre lecture de La peste : l’allégorie de la guerre.
Lui-même est entré dans la résistance en 1942 et il livre sa vision des comportements pendant la guerre et après, au moment de la libération et des règlements de compte.
Il faut encore citer le dernier paragraphe du livre, qui nous renvoie encore à la situation actuelle :
« Car il savait que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse ».